Usage connu

C’est le titre que je voudrais proposer pour un projet que nous avons, qui consisterait à recueillir les témoignages des participants à l’intervision des médecins qui traitent les usagers de substances stupéfiantes.

En tant que participant depuis vingt ans aux réunions de l’intervision des Marolles, je m’intéresse particulièrement a l’idée de pouvoir réunir et forcément résumer nos expériences par écrit, d’en faire un texte, et de le publier, afin de rendre compte d’un problème de société auquel nous apportons notre part de la solution.

Le projet a tout pour séduire.

Qui d’entre vous ne partage pas mon sentiment que l’accueil, les soins et le traitement des usagers de substances à Bruxelles aujourd’hui ne répondent pas aux critères souhaités en matière de la qualité, l’accès et le coût des soins, tant du point de vue de l’individu que de celui de la sécurité sociale.

La gageure est de démontrer les avantages, ainsi que les limites, de l’approche de premier échelon que nous représentons.

Proximité

Il n’y a aucun doute que la prise en charge des usagers de la drogue par leur médecin traitant ou leur maison médicale offre un accès à un éventail élargi de soins auxiliaires. Comparé aux charges des structures hospitalières ou policliniques le coût de la médecine générale et la pharmacie combinée est modique.

Meilleurs soins pour moins d’argent, c’est ça le pari. Nous y arrivons tout simplement en faisant ce que nous faisons depuis vingt ans : prêter l’oreille. Ecouter les récits de nos patients et essayer de les comprendre sans vouloir tout de suite les changer.

La relation de confiance est comme un fleuve qui trouve sa source dans cette attitude primordiale d’acceptation, de respect, de réciprocité. Ce qui rime avec proximité. La médecine la plus simple, près de chez vous. Sans technologie, au rez-de-chaussée et de bas seuil.

Soins primaires

En principe nous sommes tous des professionnels quoique de plusieurs disciplines, toutes orientées sur les soins de proximité et dépendant d’aucun hôpital.

Parmi les soins primaires le médecin généraliste (MG) est la cheville ouvrière, au même niveau que le pharmacien qui joue un rôle primordial, ainsi que tous les autres intervenants, qui constituent le réseau de soins dont nous sommes tous parties prenantes.

C’est un secret de polichinelle, trop bien gardé, que le MG, avec le pharmacien, à Bruxelles depuis au moins vingt ans, l’époque qui nous intéresse pour livre, assure une grande partie du travail qui consiste à prendre soin de nos usagers de substances, y compris la distribution dans les normes légales, de produits pharmaceutiques soumis à un contrôle particulier.

Ce travail s’est organisé sur terrain sur les chapeaux des roues, de façon organique. De ma mémoire les initiatives de régulation des soins pris par les autorités ont souvent été annoncées mais jamais réalisées. 

Mieux faire

C’est nous, les fantassins de médecine qui prenons en charge une population qui présente plus ce que sa part en matière de souffrance et de risques dans le domaine de la santé. Il s’agit d’au moins quelques milliers d’usagers durs pour Bruxelles, à multiplier par dizaines pour tous les autres concernés par l’alcool, les calmants et somnifères, les antalgiques.

Notre thèse maintenant, est de dire que l’accueil, les soins et la thérapie du phénomène de l’assuétude, ici comme ailleurs, est susceptible d’amélioration et que la narration de notre petite expérience pourrait servir de guide dans un terrain semé de préjugés, d’a priori, de conceptions erronées.

Les idées reçues dans la matière, les passions soulevées par le débat, les angoisses d’une société inquiétée par des types de comportement qui nous interrogent, tout cela perturbe le climat. Ce n’est pas de nature à permettre une vue claire et dépouillée du terrain, en termes tactiques, et à définir une conduite à tenir en termes stratégiques.